La trajectoire décrit le mouvement d’un objet mobile, qu’il s’agisse d’une mouche voletant dans une pièce, d’une planète décrivant une orbite autour du soleil ou d’un piéton se déplaçant dans l’espace public. Il s’agit d’un concept spatio-temporel dans la mesure où la description d’une trajectoire nécessite d’associer des moments (dates, heures ou des périodes de temps) à des positions dans l’espace, et ce en respectant un ordre chronologique. L’espace considéré est géographique quand on s’intéresse aux mobilités d’un objet ou d’un individu. Il est plus abstrait quand on utilise la notion de manière métaphorique pour décrire une succession de changements enregistrés par un individu au cours de sa vie (trajectoire sociale) ou par toute autre entité (trajectoire démographique d’un pays par exemple). L’espace considéré est alors formalisé par un ensemble de variables caractérisant l’entité dont on souhaite étudier les changements au cours du temps.

Trajectoire et mobilité, deux notions étroitement imbriquées

La notion de trajectoire ne peut être dissociée de celle de mobilité. En effet, toute mobilité, qu’il s’agisse des déplacements liés aux activités quotidiennes d’un actif ou du parcours d’un migrant cherchant à atteindre un pays d’accueil, pour prendre deux cas correspondant à des échelles spatiales et temporelles très différentes, dessine une trajectoire au niveau des individus concernés. Cette mobilité se déroule dans un espace de quelques km² et s’inscrit dans le temps de la journée dans le premier cas alors qu’elle correspond à des déplacements de milliers de kilomètres sur des mois ou des années dans le second. A l’échelle d’une vie, la trajectoire résidentielle d’un individu est composée de l’ensemble des lieux habités au cours de son existence, et en cela elle est le résultat de l’ensemble des mobilités résidentielles réalisées. De façon générale, la trajectoire, en tant que représentation d’une suite de changements, permet d’inscrire une mobilité relativement à un référentiel, spatial ou social notamment.

Torsten Hägerstrand a conceptualisé la notion de trajectoire (path) dans le champ de la time-geography (1970) en s’intéressant plus particulièrement à la mobilité des individus dans l’espace-temps des activités quotidiennes. La trajectoire est alors définie comme une suite de déplacements entre différents points géographiques et de « stations » correspondant aux périodes de stabilité spatiale entre deux déplacements. Pour un individu quittant par exemple son lieu de résidence le matin pour déposer ses enfants à l’école, puis se rendre à son travail et plus tard faire les courses avant de revenir à son lieu de résidence le soir, les stations correspondent au lieu de résidence (pour une durée longue), à l’école (durée courte), au lieu de travail (durée longue), aux différents commerces fréquentés (durées moyennes). Pour Hägerstrand, la forme de cette trajectoire, c’est-à-dire la conjugaison et l’articulation de ces stations et déplacements dépend du « projet » de chaque individu qui détermine son programme d’activité compte tenu des contraintes spatio-temporelles existantes (par exemple les horaires de travail et d’ouverture des commerces, les moyens de transport etc.) et des interactions avec les projets, contraintes et trajectoires d’autres individus. L’entrecroisement de ces trajectoires individuelles dessine ce qu’il appelle une chorégraphie spatio-temporelle (Hägerstrand 1991).

Reconstituer et représenter des trajectoires spatio-temporelles : une diversité de travaux scientifiques

La reconstitution et la représentation de trajectoires ont donné lieu à de nombreux travaux, notamment dans le domaine de la géomatique. Des données variées peuvent être utilisées, issues de recensements, d’enquêtes et de capteurs. Ces derniers sont particulièrement performants pour recueillir des suites complètes et précises de coordonnées spatiales et temporelles permettant de construire des trajectoires d’objets mobiles divers, individus, navires, troupeaux d’animaux, évoluant dans des contextes variés (en ville, sur la mer, dans la brousse par exemple) (Buard et al. 2015). Les données nécessaires pour établir une trajectoire peuvent aussi être construites par simulation, qu’il s’agisse des trajectoires quotidiennes des individus dans l’espace urbain (Banos et al. 2010) ou de biographies individuelles sur le temps d’une vie, associant une mobilité géographique à un événement biographique comme un changement d’emploi ou la naissance d’un enfant par exemple (Holm et al., 2006). Les trajectoires peuvent être représentées et visualisées dans un « cube spatio-temporel », croisant le temps et l’espace géographique. Celui-ci permet de donner à voir l’étendue des déplacements des individus, la durée des stations, l’emplacement des lieux de rencontre et d’interactions. Les moyens techniques liés au développement des SIG temporels et des outils de géovisualisation, ont progressivement permis de mettre en œuvre des modes de représentation performants (Kraak 2003 ; Kwan 2004).

La notion de trajectoire a été mobilisée dans des domaines variés. Certains correspondent à une échelle très locale, par exemple celle du poste de travail lors de la comparaison de différents modes d’organisation d’assemblage automobile (Ellegård 1996). Les applications les plus nombreuses concernent cependant les mobilités dans l’espace quotidien (Lenntorp 2004 ; Chardonnel 2021). Des types de trajectoires spatio-temporelles différenciés suivant le statut socio-économique des individus ont pu être identifiés, avec des séquences plus ou moins longues consacrées à différentes activités (travail, études, loisirs), et des étendues spatiales plus ou moins importantes (Ménin et al. 2020).

Les pratiques de mobilité des individus, tout en étant contraintes par les caractéristiques de l’espace (moyens de transport, horaires d’ouverture des bureaux et des services) produisent, à un niveau agrégé, un espace différencié, avec des concentrations plus ou moins importantes de populations de différents profils en différents lieux à différents moments. Les trajectoires individuelles laissent ainsi des traces qui produisent des types d’espace et façonnent l’évolution de l’espace géographique. La distribution des quantités de populations présentes en différent lieux d’un territoire au cours de la journée offre, par exemple, un outil de réflexion sur les risques encourus en cas de séisme ou d’inondation (Chardonnel 2021). Il est aussi possible d’étudier comment la ségrégation sociale varie aux différentes heures de la journée (Le Roux et al. 2017). Le Mobiliscope, outil interactif de géovisualisation, a été développé dans cette perspective (Vallée et al. 2023).

Dans d’autres approches enfin, ce sont les entités agrégées elles-mêmes, des villes ou des régions, qui dessinent des trajectoires donnant à voir leur évolution, cette fois dans un espace socio-économique ou socio-culturel. Celui-ci est souvent défini par un plan de variables ou d’axes factoriels issus d’une analyse de données multi-dimensionnelles. Dès les années 1970 une telle approche a été mobilisée pour rendre compte d’un changement global touchant le système des villes françaises, l’ensemble des trajectoires urbaines dessinant un mouvement vers une plus forte tertiarisation de l’économie, mais avec des intensités et à des vitesses plus ou moins importantes (traduites par des trajectoires plus ou moins courtes dans le plan factoriel) (Pumain et Saint-Julien 1978). En archéologie, la trajectoire d’une ville donnée est définie par une succession de périodes chrono-culturelles qui permettent de décrire l’évolution de la structure socio-spatiale de l’espace intraurbain (bâtiments, réseaux, fonctions) de cette ville sur la longue durée (Gravier et al. 2020). La notion de trajectoire a également été mobilisée dans les recherches sur les migrations pour caractériser une approche qui prend en compte les mobilités spatiales et sociales des individus, en les situant dans un cadre politique (Jolivet 2007). Ce dernier est alors considéré comme le référentiel dans lequel on observe les mobilités, de la même manière que le plan de facteurs socio-économiques constitue le référentiel d’observation des trajectoires des villes et le plan des coordonnées géographiques le référentiel pour observer des trajectoires dans l’espace géographique. Suivant les approches, ce référentiel peut ainsi être plus ou moins abstrait et défini de manière qualitative ou quantitative.

La trajectoire, objet de débat ?

Le concept de « trajectoire », tel qu’il a été abordé dans cette présentation, est surtout un outil de description dans la mesure où il est un moyen pour représenter la forme d’une mobilité ou plus généralement d’un changement. En tant que tel il n’est pas directement objet de débats dans la littérature. En revanche, la time-geography dont il constitue un outil clé et qui donne lieu à des travaux souvent engagés, l’est. Par exemple, face à certaines critiques stipulant que les questions de genre et de domination n’étaient pas abordées par la time-geography (Rose 1993), des géographes féministes ont montré comment les concepts et outils issus de ce champ permettaient justement de donner à voir les conditions et les contraintes qu’ont à affronter les femmes dans l’organisation des mobilités de leur vie quotidienne (Scholten et al. 2012). Une réflexion sur les trajectoires sous-jacentes aux mobilités est alors un des moyens permettant de mettre en évidence de tels phénomènes, aux côtés des autres concepts de la time-geography.

Bibliographie

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DATE

Avril 2023

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