La diffusion spatiale est le processus par lequel une nouveauté se répand dans l’espace géographique au cours du temps. Les mouvements peuvent concerner des objets matériels, des produits, des vecteurs de maladies, des personnes, ou des objets immatériels comme des cultures, pratiques sociales et opinions. Les interactions physiques ou interpersonnelles véhiculent des informations par lesquelles se produisent des propagations dans l’espace au cours du temps. Elles se déroulent sous la contrainte très forte de la proximité géographique. La proximité géographique au sens large est ici comprise comme une faible distance physique ou une facilitation des contacts par des réseaux d’accès ou d’information.

Les points forts de la diffusion spatiale

Le processus de diffusion spatiale très généralement exprime la force de la « première loi de la géographie », énoncée sous une forme lapidaire par Waldo Tobler (1970): « tout interagit avec tout, mais deux choses proches ont plus de chances d’interagir que deux choses éloignées ». Les processus de diffusion concernent toutes les branches de la géographie : colonisation végétale, migration d’animaux ou de personnes, peuplement, épidémies, innovation technique, information, systèmes de pensée, aires culturelles ou modes plus ou moins fugaces. La diffusion spatiale peut correspondre à un changement de localisation (cas des migrations ou des contaminations), ou à une expansion spatiale.

Une innovation est une invention socialement acceptée qui se répand généralement dans l’espace géographique au fil du temps comme une vague d’intensité croissante. La diffusion spatiale des innovations selon Torsten Hägerstrand (1952) s’opère selon deux processus principaux : à partir d’agents initiateurs (des personnes ou des institutions) l’innovation se répand en tache d’huile, par contact, ou hiérarchiquement, lorsque les récepteurs adoptants potentiels sont déjà localisés dans des centres hiérarchisés. Si les adoptants potentiels sont un échantillon de personnes compétentes ou de parties prenantes concentrées dans certains endroits, par exemple les grandes villes, ce qui est le cas pour de nombreuses innovations entrepreneuriales, la diffusion se produit d’abord dans les grandes métropoles et s’étend selon un schéma spatial discontinu mais régulier en suivant la hiérarchie urbaine depuis les grandes métropoles vers les villes moyennes et les petites villes.

Ce thème de la diffusion spatiale a été à l’origine d’innovations méthodologiques qui ont fait progresser l’utilisation des principes nomothétiques, des mathématiques et des outils informatiques en géographie. T. Hägerstrand (1952) a construit sa théorie en la fondant sur des observations empiriques et des analyses statistiques et en la testant avec des modèles. En utilisant le concept de cham moyen d’information, il a créé les premiers modèles de simulation utilisant des processus aléatoires pour reproduire les processus de diffusion spatiale. Cela a ouvert la voie au développement d’une diversité de concepts comme l’autocorrélation spatiale et l’auto-organisation, et d’outils géographiques essentiels comme les automates cellulaires et la modélisation des épidémies tandis que le détail de données individuelles permettait de mieux explorer les effets en retour des mobilités sur la santé (Vallée 2023).

Les pratiques de mobilité façonnent les diffusions culturelles

Par le jeu de la diffusion spatiale, bien des configurations observées dans les paysages et plus généralement dans l’espace géographique physique et humain résultent de l’organisation des mouvements, des déplacements à la surface de la terre. Depuis l’ouvrage fondateur de Hägerstrand, le processus de diffusion a confirmé son importance dans la construction de théories géographiques telles que les modèles centre-périphérie à différentes échelles ou la dynamique des systèmes de peuplement. Le sociologue Antony Giddens (1984) dans son livre sur la structuration de la société a utilisé la théorie de Hägerstrand pour définir un « processus de régionalisation ». Fondé sur la diffusion du changement social dans l’espace géographique, ce concept est le processus-clé à l’origine des grandes différenciations sociales et culturelles entre les aires linguistiques et les civilisations.

Dans l’ensemble, les effets des processus de diffusion lente du passé sont encore perceptibles dans de nombreuses distributions spatiales remarquables qui différencient le monde d’aujourd’hui. La diffusion spatiale des pratiques familiales ou des croyances religieuses semble à court terme reposer d’une part sur l’action des transmetteurs et des prosélytes ou propagandistes (désormais euphémisés en « influenceurs » dans les nouveaux « réseaux sociaux ») au sein des populations, et d’autre part sur les résistances et les barrières qui entravent cette action. Mais lorsqu’on l’analyse sur une longue période de temps dans plusieurs sociétés, la formation de vastes zones de culture commune apparaît comme produite dans des réseaux de mobilité très complexes incluant simultanément différents domaines d’activités humaines et sociétales et de représentations psycho-sociales. L’importance de cette diffusion liée aux mobilités commerciales ou prédatrices et de ses nombreuses perturbations par les événements politiques est bien illustrée dans un ouvrage qui synthétise l’histoire des pays d’Asie centrale le long des routes de la soie (Francopan 2015).

De nos jours, les processus de diffusion spatiale impliquent des processus beaucoup plus complexes en raison de l’interaction de multiples échelles spatiales et temporelles. Cette évolution des processus de diffusion liée à celle des modalités techniques et sociétales des interactions spatiales apparaît bien en épidémiologie, si l’on compare les propagations des épidémies transmises selon des formes de mobilité anciennes (Cliff et al. 2004) et celles de l’époque contemporaine (Eubank et al. 2004 ; Collizza et al. 2006 ; Banos et Lacasa, 2007). Même si les épidémies de peste ou de choléra jusqu’au XVIIIe siècle pouvaient avoir des origines lointaines liées à la navigation maritime, elles se sont diffusées surtout de proche en proche, par exemple autour du bassin méditerranéen. Depuis le XXe siècle, les effets des mobilités individuelles à longue distance ont été incriminés dans la diffusion du sida en Afrique ou de celle de la Covid19 dans le monde et ont mis en évidence le rôle important des villes plaques tournantes des mobilités internationales en tant que relais dans la diffusion de ces épidémies.

Un processus sociogéographique universel en accélération

Le géographe suédois Torsten Hägerstrand (1952) a été le premier à modéliser en détail les processus de diffusion et les effets des déplacements sur les configurations spatiales en étudiant les motivations et les conséquences des migrations mais aussi et surtout de la circulation de l’information. Plusieurs études de cas de Hägerstrand portent sur la diffusion d’innovations techniques et sociétales dans les zones rurales, comme la pratique de la vaccination contre la tuberculose bovine ou les subventions pour l’amélioration de l’élevage chez les agriculteurs du sud de la Suède. Cette théorie a une résonance considérable, non seulement pour la géographie, mais aussi pour les sciences sociales dans leur ensemble.

L’innovation au sens donné par Schumpeter combine des artefacts et des pratiques qui engendrent des changements irréversibles dans l’évolution d’un environnement (Saint-Julien 2001). Plus l’innovation diffusée est complexe et plus le processus de diffusion a une influence sur la transformation de l’environnement dans lequel elle se propage, car plus les effets induits par son adoption sont multipliés (Lane et al. 2009). Cependant, des barrières physiques (comme les hautes montagnes ou les océans) et sociétales (comme les frontières linguistiques, culturelles ou politiques) peuvent entraver la propagation des innovations.

Au cours de la longue histoire de l’humanité les processus de diffusion ont acquis une vitesse croissante. La colonisation de tous les continents par l’homo sapiens a été un processus lent de plus de cent mille ans, la diffusion de l’agriculture après les premières transitions néolithiques (Mésopotamie, Chine du sud, vallée de l’Indus, Amérique du sud intertropicale) a pris quelque dix mille ans et ne s’est pas opérée dans toutes les régions. Les changements sociétaux très complexes qui ont accompagné la propagation de la transition démographique et de la révolution industrielle dans le monde ont été beaucoup plus rapides au cours des deux derniers siècles. Les anciens processus de diffusion étaient fortement limités par la distance physique, mais les technologies de communication les ont considérablement accélérés et les processus hiérarchiques sont devenus plus fréquents que les diffusions en tache d’huile. Ainsi, la diffusion spatiale a été de type contagion locale pour la contraception au cours du XIXe siècle en Grande-Bretagne (Bocquet-Appel et Jacobi 1997) mais de type hiérarchique dans le cas du divorce en France après 1950 (Roussel 1970). L’effet barrière des frontières nationales dans un territoire intégré est cependant encore perceptible dans la large diffusion de la nouvelle monnaie dans la zone euro (Le Texier et Caruso 2017).

Les données numériques nouvellement disponibles sur une diversité de réseaux sociaux faciliteront désormais l’observation des canaux de formation des opinions individuelles et collectives, qui ne pouvaient être que des hypothèses à partir de modèles géographiques dans les études antérieures. Ces informations précieuses nécessitent cependant une investigation minutieuse, souvent au moyen d’outils d’analyse exploratoire, pour extraire des résultats significatifs de ces données massives qui peuvent être biaisées ou manipulées. Ces interactions sociales à très grande vitesse peuvent conduire à produire des modèles géographiques moins clairs ou inattendus qu’avant la contraction spatio-temporelle majeure fournie par les médias numériques.

Une diversité d’applications et de processus : complexification des interprétations

Des nuances sont apportées au modèle général de la diffusion spatiale selon les domaines où elle est observée. Alan Pred (1966) a attesté de la pertinence de la théorie de la diffusion spatiale pour décrire la géographie de l’industrie, des chemins de fer et de la presse régionale au début de la période d’urbanisation et d’industrialisation des États-Unis. Peter Gould (1969) a revisité le cas de la diffusion du Rotary club dans les villes nord-américaines déjà analysé par Hägerstrand comme typique d’un processus de diffusion hiérarchique. Sophie Baudet-Michel (2001) a montré la variabilité de l’impact de l’organisation spatiale et hiérarchique antérieure des systèmes de villes sur la diffusion des services aux entreprises pendant 150 ans dans trois pays européens : l’implantation de cette nouvelle activité économique est dans un premier temps limitée aux capitales des pays centralisés comme la France ou le Royaume-Uni alors qu’elle est partagée par huit grandes villes de l’Allemagne fédérale. Mais dans un deuxième temps, la diffusion atteint davantage de villes de moindre importance au Royaume-Uni et en France, alors qu’elle reste enfermée dans les huit premiers sites en Allemagne.

Le concept de diffusion de l’innovation a été très tôt intégré et affiné dans les théories économiques (Camagni 1985). Des concepts corrélés de spill over ont été développés et les économistes ont différencié les connaissances codées et tacites pour évaluer le rôle de la proximité dans le développement économique. Les économistes identifient la diffusion des innovations comme un processus crucial dans la formation des clusters économiques, et dans le développement économique inégal. Des études récentes de la diffusion internationale des technologies confirment la validité de la théorie de Hägerstrand (Comin et al. 2012). Non seulement les technologies, mais aussi les entreprises multinationales ou les investissements financiers (Lin et Kwan 2016) ont tendance à suivre des règles de diffusion spatiale selon des réseaux d’information plus ou moins complexes à différents niveaux géographiques. Cependant, des processus de leap-frogging (rattrapage rapide) tel celui qui a accéléré la diffusion des smartphones en Afrique interviennent aussi, sans que leurs effets sur le développement ne soient toutefois garantis (Alzouma 2005).

Des controverses au sujet du rôle des mobilités dans les processus de diffusion ont émergé dans toutes les disciplines. Par exemple, elles ont opposé deux interprétations de l’expansion de l’agriculture en Europe au néolithique parmi les historiens, l’une dite « démique » insistant sur le rôle déterminant des migrations de population, l’autre dite « culturelle » soulignant l’importance de la diffusion des idées et de l’acculturation. Les données de l’archéologie et de la génétique incitent à considérer l’étroite imbrication des deux interprétations dans le processus de diffusion (Chiaroni et Schmitt 2019).

Selon une théorie évolutionniste des systèmes urbains, la diffusion de l’innovation n’est pas une simple percolation mais un processus proactif qui implique des villes concurrentes et coopérantes engagées dans une co-évolution (Paulus 2004 ; Raimbault 2021). En général, les vagues d’innovation se diffusent de manière hiérarchique dans les systèmes de villes, ce qui maintient et renforce les inégalités dans la taille des villes qui sont la principale propriété structurelle des systèmes de villes. Lorsque certaines activités économiques sont plus sélectives dans leur localisation, par exemple en raison de l’utilisation de produits minéraux comme lors de la première révolution industrielle, ou de la valorisation de sites spécifiques comme pour le développement du tourisme, leur diffusion est limitée à un sous-ensemble de villes qui se spécialisent et restent différenciées des autres pendant de nombreuses décennies après le développement de l’innovation. Les impulsions de croissance de la population et des revenus sont généralement associées aux vagues d’innovation et bénéficient principalement aux premiers adoptants. C’est pourquoi la trace de leur diffusion est encore visible plusieurs décennies plus tard et forme ce que l’on appelle des « générations de villes ».

Bibliographie

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Avril 2023

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